środa, 23 lipca 2008

Wywiad z ks. Gleizem

W ostatnim czasie miałem okazję przeprowadzić wywiad z wykładowcą łaciny, apologetyki i eklezjologii w Międzynarodowym Seminarium św. Piusa X. Ks. Gleize ocenia modernizm nie tylko z tomistycznego punktu widzenia, ale przede wszystkim z pozycji dokumentów Tradycyjnego Magisterium (które przy okazji jest tomistyczne). Ciekawostką wywiadu jest ocena bierzącego pontyfikatu na podstawie najróżnieszych wypowiedzi Benedykta XVI, wpisująca się jak najbardziej w niedawną polemikę polskiego podwórka co do tradycyjności aktualnego papieża. Ponieważ polskie tłumaczenie wywiadu stało się szeroko dostępne, zamieszczam tu jedynie francuski oryginał moich rozmów z tym wybitnym współczesnym tomistą. W końcu, traductor -traditor, tłumaczenie to zdrada oryginału, tak więc cieszę się, że mogę udostępnić czytelnikom znającym francuski wypowiedź mego nadzwyczajnego rozmówcy w jego ojczystym języku wraz ze wszystkimi jegoż finezjami.
Q : Monsieur l’abbé, vous enseignez l’apologétique et l’ecclésiologie au Séminaire St Pie X à Écône, peut-on dire que s’occuper de la théologie c’est faire œuvre d’une véritable science ?

Aujourd’hui, beaucoup vous diront que non. Dans les universités on n’admet plus que deux types de science, d’une part les sciences expérimentales, physiques et mathématiques, et d’autres part ce qu’on appelle les sciences humaines. Et les sciences humaines sont prisonnières d’un postulat, que l’on retrouve dans le modernisme, et qui consiste à ériger la méthode historique en méthode universelle. C’est Ernest Renan qui a publié en 1852 comme le manifeste de cette prétention. « Le trait caractéristique du 19e siècle », dit-il, « est d’avoir substitué la méthode historique à la méthode dogmatique dans toutes les études relatives à l’esprit humain. […] L’histoire en effet est la forme nécessaire de la science, de tout ce qui est soumis aux lois de la vie changeante et successive. […] Le grand progrès de la critique a été de substituer la catégorie du devenir à la catégorie de l’être, la conception du relatif à la conception de l’absolu, le mouvement à l’immobilité » [1]. Et de fait, l’enseignement de la philosophie et de la théologie, pour être reconnu comme scientifique, doit se donner comme un enseignement historique : on y présente les différentes formes de pensée qui ont pu se succéder au cours des âges. Il n’y a que du relatif ; aucune vérité absolue ne saurait s’imposer à cette connaissance soi disant scientifique.

Or, bien au contraire, la science a pour but de découvrir ce qui est, ce qui demeure au-delà des changements, ce qui est nécessaire. La science cherche à dégager les causes profondes et les lois absolues qui expliquent le réel. C’est d’ailleurs la connaissance de ces causes et de ces lois qui donne à la science sa certitude. La science peut donc se définir comme la connaissance certaine du réel, obtenue par la connaissance des causes et des lois nécessaires. On est loin du relativisme historique que prônait Ernest Renan. Et on voit aussi que la théologie est une véritable science. En s’appuyant sur la révélation divine (elle-même rendue crédible aux yeux de la raison moyennant les motifs de crédibilité que l’on étudie en apologétique), le théologien est capable de parvenir à la connaissance certaine des lois qui régissent l’ordre surnaturel. Ces lois ne sont pas évidentes, comme celles que nous pouvons découvrir en observant la nature ; mais elles sont attestées par le témoignage infaillible de Dieu. Reçues par la foi elles peuvent être au point de départ d’une spéculation d’ordre véritablement scientifique. Saint Thomas a d’ailleurs fortement insisté sur la nature formellement scientifique de la théologie.


Q : Quel est plus spécialement le but des matières théologiques que vous enseignez ? Vu le contexte présent le modernisme et ses dangers prennent-ils une place particulière dans votre analyse et les cours que vous dispensés?

La théologie commence par établir les fondements de la foi, c'est-à-dire la crédibilité du dogme que l’on étudie dans le cours d’apologétique. Dans le prolongement de cette première question en surgit une deuxième, celle de la transmission du dogme, c'est-à-dire la question de la tradition. La tradition, c’est l’Eglise, Mère et Maîtresse de la parole divinement révélée, que l’on étudie dans le traité du même nom, dans le De Ecclesia.

Le modernisme est un système où tout se tient et qui commence par dissoudre les fondements même de la foi, en s’attaquant aux notions catholiques de révélation, de dogme et de tradition pour leur substituer des notions faussées. Le modernisme change de fond en comble la religion catholique en changeant tous les principes qui sont à la base du catholicisme. Il suffit par exemple de modifier le sens du mot « Credo », en introduisant une nouvelle conception de l'acte de foi, pour bouleverser toute la substance du Symbole des apôtres. On peut continuer à réciter sans broncher les mêmes douze articles, mais ils ne sont plus objet de foi (« Credo ») au sens catholique. Ils ne sont plus que l’expression du vécu ou de l’expérience intime du croyant, qui est bien dans sa foi comme il est bien dans sa peau.

Il est donc clair que l’analyse et la réfutation du modernisme doit occuper une place importante dans le cadre des traités d’apologétique et d’ecclésiologie.


Q : Pouvez-vous nous rappeler brièvement d’où vient ce fléau ?

On peut dire que le modernisme a érigé en théorie et en système un relativisme qui était jusqu’ici resté surtout implicite dans le comportement des catholiques libéraux. On peut ajouter l’influence de la philosophie idéaliste d’Emmanuel Kant (1596-1650) et de la philosophie évolutionniste de Georges-Frédéric Hegel (1770-1831). Kant part du principe que l’homme ne dégage plus les idées générales à partir de l’expérience sensible mais se les forge dans l’intime de sa propre conscience, coupée de toute relation avec la réalité qui s’offre aux sens. Il est facile de comprendre comment un pareil principe a pu donner lieu chez les modernistes à une religion basée sur la conscience, où tout procède du sujet croyant, de ses besoins et de ses sentiments. Hegel a complété le système idéaliste de Kant en lui ajoutant un caractère de progrès indéfini, d’où le terme d’évolutionnisme que l’on donne parfois au système hégélien. Son idée maîtresse est que tous les événements de l’histoire ne sont que les manifestations diverses d’une réalité unique, qui est l’Esprit infini. Dieu se dévoile ainsi de plus en plus au cours de l’histoire des hommes. L’idée d’une religion évolutive et d’une tradition vivante, familière au modernisme, en est issue tout droit.

Enfin, l’abbé Alfred Loisy (1857-1940) est l’ancêtre direct du modernisme. Son livre L’Evangile et l’Eglise paru en 1902 sera mis à l’Index et les principales thèses en seront analysées et condamnées par le pape saint Pie X dans le décret Lamentabili du 3 juillet 1907 ainsi que dans l’encyclique Pascendi du 8 septembre suivant. Pour Loisy, la foi est le sentiment religieux devenu conscient, et elle évolue avec lui. Identifier la foi avec la conscience, c’est appliquer l’idéalisme de Kant, et la faire évoluer c’est adopter la philosophie de Hegel.


Q : Mais pourtant un moderniste se donnera toujours l’image d’un catholique, comment est-ce possible ?

C’est justement ce qui fait la nouveauté du modernisme : c’est une hérésie qui veut se donner les apparences du catholicisme. Comme toute hérésie, c’est un système où tout se tient [2]. Mais, à la différence des autres hérésies, c’est un système qui ne se présente pas comme tel ; il offre à la première lecture une apparence d’obscurité et d’équivoque, qui pourrait solliciter, sur chaque point particulier et isolé du système, une interprétation bienveillante dans le sens de l’orthodoxie. Dans son encyclique Pascendi, Au numéro 3, saint Pie X évoque « une tactique insidieuse et perfide » et dit que les modernistes « abusent facilement les esprits mal avertis ». Et au numéro 2 il affirme que ce sont « des ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement ». Le n° 4 analyse plus en détails cette tactique : les modernistes ont pour principe « de ne jamais exposer leurs doctrines méthodiquement et dans leur ensemble, mais de les fragmenter en quelque sorte et de les éparpiller çà et là, ce qui prête à les faire juger ondoyants et indécis, quand leurs idées, au contraire, sont parfaitement arrêtées et consistantes ».
Si le modernisme veut à ce point sauver les apparences de l’orthodoxie, c’est parce que la logique inhérente à ce système est une logique foncièrement subversive : le système a pour but de confisquer l’autorité, d’amener ce jugement de l’autorité ecclésiastique à adopter son propre point de vue [3]. Il y a chez les modernistes, dit encore saint Pie X (Pascendi, n° 37) « une volonté et une tactique », car « ils tiennent qu'il faut stimuler l'autorité, non la détruire ». En effet, « il leur importe de rester au sein de l’Eglise pour y travailler et y modifier peu à peu la conscience commune ».


Q : Cela implique-t-il que tout moderniste soit forcément de mauvaise foi ?

La bonne ou la mauvaise foi d’une conscience reste impénétrable aussi longtemps que n’est pas intervenu un jugement officiel de l’autorité, imposant la rétractation des erreurs. La mauvaise foi implique le refus de se soumettre et de tenir compte des avertissements légitimes.

Saint Thomas fait une distinction intéressante [4] lorsqu’il parle des « majo­res » (l’Eglise enseignante ou les experts) et des « minores » (l’Eglise enseignée ou les gens du commun) à propos de la notoriété du Messie chez les Juifs du temps de Notre Seigneur. Les premiers ont refusé le Christ en connaissance de cause, tandis que les seconds ont pu rester dans une certaine ignorance. Si nous transposons cette distinction au cas qui nous occupe, nous pouvons dire qu’il y a des modernistes experts, comme Alfred Loisy sous saint Pie X ou Henri de Lubac et Yves Congar sous Pie XII. Ceux-là n’ont pas pu ne pas voir que le Saint-Siège réprouvait leurs erreurs et ils auraient dû se soumettre. Quarante après Vatican II, la situation est beaucoup plus complexe et laisse présager, chez bien des fidèles catholiques abusés par la prédication conciliaire, chez des jeunes prêtres formés dans le moule de la nouvelle théologie, une ignorance plus ou moins grande.

D’autre part, pour s’en tenir aux têtes pensantes de l’hérésie, aux « majores », le numéro 22 de Pascendi rappelle une autre distinction qui a aussi son importance. Saint Pie X remarque qu’« il est assez malaisé de reconnaître la vraie pensée des modernistes, tant leurs opinions sont divergentes ». Ils partent tous du même principe, mais ils divergent lorsqu’il s’agit d’en tirer les conséquences. Les uns vont jusqu’au bout, les autres hésitent, d’autres reculent. Il en est même pour déplorer l’étendue des maux qu’ils ont eux-mêmes suscités par leurs sophismes.


Q : Toutefois nous parlons là d’un document pontifical du début du siècle précédant : l’ambiance théologique actuelle avec l’héritage du Concile est-ce vraiment du modernisme ? En effet Yves Congar, le pionnier de la nouvelle théologie, disait qu’avec Pascendi le problème était résolu. Et d’ailleurs le pape Paul VI n’aurait il pas pour la même raison supprimé le fameux serment antimoderniste ?

En 1946, le père Garrigou-Lagrange tirait la sonnette d’alarme en dénonçant les méfaits d’une « nouvelle théologie » qui revenait au modernisme jadis condamné par saint Pie X. Et quatre ans plus tard, dans l’encyclique Humani generis, le pape Pie XII confirmait ces justes appréhensions, en dénonçant le néo modernisme. Ce sont les artisans de ce néo modernisme qui ont investi le concile Vatican II pour y imposer les postulats de leur nouvelle théologie.
Le pape Paul VI était le fervent disciple de Jacques Maritain, auquel le concile a emprunté les faux principes qui sont à la base de la déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse. Si on adopte la liberté de penser en matière religieuse, il est logique de renoncer au Serment antimoderniste de saint Pie X. Paul VI devait d’ailleurs reconnaître lui-même que « les fumées de Satan avait pénétré à l’intérieur de l’Eglise ».

Le concile Vatican II a bel et bien consacré le triomphe du libéralisme et du modernisme. Ce fut « le déchaînement des forces du mal pour la ruine de l’Eglise » [5].


Q : … d’où aussi l’expression « Eglise infiltrée par le modernisme », que nous devons à Mgr Lefebvre. Mais concrètement ? Certains fidèles parlant du modernisme actuel désignent souvent des effets sans en comprendre les causes. D’autres, selon leurs goûts esthétiques ou que sais-je encore, vont univoquement traiter du modernisme ce qui ne s’oppose pas à la Tradition. Bref les idées n’y sont pas toujours claires et cela ne sert pas toujours la bonne cause.

Bien sûr, il y a les effets et il y a les causes. Les effets peuvent se faire sentir sur une échelle très large, on peut à cet égard comparer les conséquences de Vatican II aux retombées d’une explosion nucléaire. La radioactivité s’étend sur tout le terrain, non seulement sur les zones les plus stratégiques mais aussi sur les zones de moindre importance. Vatican II a entraîné une perte de la foi et une désacralisation qui se sont étendues dans tous les domaines. La liturgie a été réformée et rendue profane, on a abandonné le port de la soutane, etc. Dans son livre Lettre ouvert aux catholiques perplexes (1976), Mgr Lefebvre a bien décrit toutes ces conséquences qui se sont fait sentir dans la vie quotidienne des catholiques. Mais dans un autre livre, Ils L’ont découronné (1987), Mgr Lefebvre a aussi analysé les causes profondes d’où ces conséquences ont procédé. Ce sont les causes qui sont les plus importantes, car de ces causes peuvent toujours découler une quantité de conséquences toujours nouvelles, toujours pires.

Le plus éloquent n’est donc pas forcément ce qui frappe davantage dans la vie quotidienne ou dans le monde médiatique. Les différentes réunions de prière œcuménique qui se sont tenues en présence même du pape (avec Jean-Paul II à Assise en 1986 et en 2002, ainsi qu’à Rome en 1999 ; avec Benoît XVI à Naples en 2007), la prière de Benoît XVI à la mosquée en 2006 sont déjà des signes qui ne trompent pas. Mais ce qui est plus important, ce sont tous les discours publiés régulièrement dans l’Osservatore romano et qui réaffirment sans cesse le principe de la liberté religieuse (tiré de la déclaration Dignitatis humanae), de la laïcité des Etats (tiré aussi de la constitution Gaudium et spes) et de l’œcuménisme (tiré du décret Unitatis redintegratio), principe qui est en contradiction formelle avec l’enseignement constant et unanime du magistère pontifical d’avant Vatican II. Principe surtout qui est à la racine de tous les changements présents et – Dieu nous en garde – peut-être encore à venir.


Q : Et le pape actuel ? La jeunesse théologique de l’abbé Joseph Ratzinger est considérée comme influencée par la nouvelle théologie et modernisante. Aujourd’hui tout le monde nous parle d’un pape augustinien. Benoît XVI reprend les ornements pontificaux des ses prédécesseurs traditionnels, on commence enfin à parler ouvertement des abus qui sont commis dans l’Eglise au niveau doctrinal et liturgique. Benoît a-t-il donc oublié Joseph ?

C’est plutôt notre pauvre mémoire qui aurait bien besoin d’être rafraîchie !... Rappelez vous les années 1979-1981, huit ans avant l’excommunication de juillet 1988… Jean-Paul II fraîchement élu suscitait l’enthousiasme des forces conservatrices de l’Eglise. A en croire tous les bruits qui circulaient à droite comme à gauche, c’était le pape du retour à la saine doctrine de l’Eglise, le pape qui allait corriger le concile Vatican II à la lumière de la Tradition. Deux ans plus tard, c’était la douche froide, lorsque l’on vit le pape venant se recueillir en pèlerin sur la tombe de Luther. Puis ce fut la visite à la Synagogue de Rome et enfin le scandale d’Assise. Benoît XVI est quand même allé beaucoup plus vite, pour dissiper les quelques illusions qu’auraient pu susciter sa réputation de théologien conservateur. Son élection date d’à peine trois ans, et quand on mesure le chemin parcouru, on peut dire qu’il n’est pas en reste par rapport à Jean-Paul II. Pire même : le pape Ratzinger s’est rendu déjà deux fois dans une Synagogue, en Allemagne en 2005, puis aux Etats-Unis, tout récemment. Notez enfin qu’en 2007 Benoît XVI a fait rééditer sans aucun changement son livre paru en 1969, Foi chrétienne, hier et aujourd’hui, en précisant à cette occasion que, quarante après, la pensée du théologien devenu pape n’avait pas changé d’un seul iota.

On peut ensuite s’en tenir aux propos tenus par Benoît XVI, lors d’une interview donnée à la télévision polonaise le 16 octobre 2005 : « Je pense que j’ai pour mission essentielle et personnelle de ne pas promulguer de nombreux nouveaux documents mais de faire en sorte que ces documents [de Jean-Paul II] soient assimilés, car ils constituent un trésor très riche, ils sont l’authentique interprétation de Vatican II. Nous savons que le pape était l’homme du Concile, qu’il avait assimilé intérieurement l’esprit et la lettre du Concile et, par ces textes, il nous fait vraiment comprendre ce que voulait et ce que ne voulait pas le Concile ». Une chose est donc sûre : Benoît n’est pas près d’oublier Jean-Paul. Et à travers son prédécesseur, c’est l’héritage de tout le Concile qui s’impose à lui.

Q : S’il est vrai que le nouveau pape ne choisit pas le nom très significatif de Pie, ne prit-il pas tout de même de la distance vis-à-vis des papes Jean XXIII, Paul VI et Jean-Paul II en voulant s’appeler Benoît ? L’esprit conciliaire est-il si à l’ordre du jour que vous dites?

Cet esprit est loin d’être renié :

- ni dans la mise en application de l'œcuménisme : une des toutes premières démarches du nouveau pape à peine élu depuis quatre mois à été une démarche œcuménique, puisqu’il s’est rendu en visite officielle à la synagogue de Cologne. A cette occasion, Benoît XVI a clairement laissé entendre que l’opposition entre le Nouveau et l’Ancien testament relève des « questions théologiques encore discutées » [6]. Aux yeux du pape, cette opposition n’est plus l’opposition essentielle qui consiste chez les juifs dans le refus du principe même du salut, Jésus-Christ. Et dans le Message adressé le 26 octobre 2005 au cardinal Kasper, à l’occasion du 40e anniversaire de la déclaration conciliaire Nostra aetate, le pape actuel affirme que sa visite à la synagogue de Cologne doit être comprise de sa part comme une expression de « ma ferme détermination à suivre les traces laissées par mon bien-aimé prédécesseur, le pape Jean-Paul II » [7]. Cette première initiative de 2005 devait être suivie par la visite à l’église schismatique Saint-Georges-du-Phanar, le 29 novembre 2006, la prière à la Mosquée bleue d’Istanbul, le 30 novembre 2006 [8], par la réunion œcuménique de prières à Naples le 21 octobre 2007 [9].

- ni dans la réaffirmation du principe de la liberté religieuse et de la laïcité des Etats. Ce principe apparaît clairement dans le fameux Discours du 22 décembre 2005 [10], où le pape réaffirme le « droit à ne pas être empêché » qui doit être reconnu pour l’exercice de toute religion en tant que telle, dans le cadre de la vie civile. Même chose dans le Discours du 28 novembre 2006, adressé au Corps diplomatique auprès de la république de Turquie [11] : « C’est le devoir des autorités civiles dans tout pays démocratique », dit-il, « de garantir la liberté effective de tous les croyants et de leur permettre d’organiser librement la vie de leur communauté religieuse ». Surtout, lors de son récent voyage aux Etats-Unis, Benoît XVI répété avec force le même principe, dans son Discours du 18 avril 2008, adressé à l’assemblée de l’ONU. « Les droits de l’homme », dit-il, « doivent évidemment inclure le droit à la liberté religieuse » […] La pleine garantie de la liberté religieuse ne peut pas être limitée au libre exercice du culte, mais doit prendre en considération la dimension publique de la religion et donc la possibilité pour les croyants de participer à la construction de l'ordre social ». Et il ajoute que ce principe de la liberté religieuse vise « à obtenir la liberté pour tout croyant » [12].

- ni dans le principe de la collégialité : les premières déclarations du pape Benoît XVI, le 20 avril 2005, lendemain même de son élection, ont été pour réaffirmer la doctrine du chapitre 3 de la constitution Lumen gentium [13], en même temps que sa « très ferme volonté de poursuivre la tâche de la mise en œuvre du concile Vatican II, sur la trace de mes prédécesseurs ». Dans son livre sur Jésus de Nazareth, paru en 2007, Benoît XVI cite en bibliographie [14], pour la question du primat de saint Pierre, le livre d’Oscar Cullmann, Pierre, disciple, apôtre et martyr, Zurich, 1952. Or ce livre donne le point de vue de la théologie protestante, d’après laquelle saint Pierre ne fut qu’un simple « primus inter pares » et nie l’institution divine de la papauté.

- ni en ce qui concerne la réforme liturgique. Le récent Motu proprio Summorum pontificum du 7 juillet 2007 autorise la célébration de la messe et des sacrements selon le rite tridentin à titre extraordinaire. Même si cet usage peut s’avérer fréquent dans les faits, il ne correspond pas à la loi ordinaire et commune, qui reste celle du Novus ordo missae de Paul VI. Dans sa Lettre aux évêques accompagnant le Motu proprio, Benoît XVI est très clair à ce sujet : « Le Missel, publié par Paul VI et réédité ensuite à deux reprises par Jean-Paul II, est et demeure évidemment la Forme normale – la Forma ordinaria – de la liturgie Eucharistique. La dernière version du Missale Romanum, antérieure au Concile, qui a été publiée sous l’autorité du Pape Jean XXIII en 1962 et qui a été utilisée durant le Concile, pourra en revanche être utilisée comme Forma extraordinaria de la Célébration liturgique. Il n’est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel Romain comme s’il s’agissait de « deux Rites ». Il s’agit plutôt d’un double usage de l’unique et même Rite ». Sur le plan des principes, le pape Benoît XVI se fait toujours le héraut de la liberté religieuse, de l’œcuménisme et de la collégialité.

Q : D’accord, ces faits sont indéniables et persister serait pour le moins téméraire, mais pourquoi alors les médias lui donnent toujours cette image illusoire d’un pape conservateur ?

Dans les détails de son gouvernement, il est vrai, ce pape s’efforce de restaurer un minimum de discipline, tant il est vrai que la fin de pontificat de Jean-Paul II avait donné lieu à de nombreux abus, ici ou là. Cette dualité qui départage la politique de Benoît XVI entre une fidélité sans failles aux principes révolutionnaires et un semblant de retour à l’ordre est d’ailleurs une constante du modernisme. Pensons à ce que disait saint Pie X dans Pascendi : les modernistes ne sont pas tous conséquents au même degré. Certains admettent les principes mais veulent mettre un frein aux conséquences qui en découlent. Ce coup de frein est d’autant plus nécessaire que, pour survivre, le modernisme doit toujours équilibrer l’un par l’autre les deux contrepoids, le progressiste et le conservateur. En effet, dit saint Pie X (Pascendi, n° 36), le modernisme qui est la religion en progrès et en évolution incessante, « résulte du conflit de deux forces, dont l'une pousse au progrès, tandis que l'autre tend à la conservation ». La force qui pousse à la conservation, c’est l’autorité qui réprime les abus ; la force qui pousse au progrès, ce sont les impératifs du Concile.


Q : Dans ce contexte les fidèles traditionalistes voudraient à juste titre réagir et convertir les égarés. Ils ont reçu ce trésor de la vérité catholique inchangée qu’ils seraient heureux de transmettre aux autres. Néanmoins la plupart du temps toute discussion s’avère stérile. Que de fois on entend « Vous voulez être traditionaliste ? Je ne vous en empêche pas, on a nos choix».

Le principe de base du modernisme est un agnosticisme, compliqué d’immanentisme. Cela signifie qu’il y a autant de vérités que de consciences. C’est en germe le relativisme le plus absolu. Le premier préalable à toute discussion est d’admettre le principe de non-contradiction : on ne peut pas soutenir en même temps deux affirmations contraires. Or, le modernisme refuse ce principe. La discussion est donc d’avance vouée à l’échec. « Deux et deux font quatre. Vous dites cinq ? C’est merveilleux ! Treize ? C’est encore mieux !! Cinquante huit ? Quelle riche idée !!! » Voilà le canevas-type de la discussion avec un moderniste. C’est un dialogue de sourds.

La solution serait de faire tomber le préjugé : faire abandonner le postulat de l’agnosticisme immanentiste. Mais c’est très difficile, parce qu’aujourd’hui tout le monde baigne dedans, dès la toute première éducation. Et puis renoncer à ce préjugé va entraîner de nombreuses conséquences : il va falloir réformer non seulement ses idées, mais encore toute sa vie, toute sa morale… Nous voyons dans le livre des Actes des apôtres (chapitre 24, versets 24-25) que lorsque l’apôtre saint Paul prêche la chasteté et le jugement dernier, ses interlocuteurs restés jusqu’ici de bonne volonté, lui commandent brusquement de se retirer.

Mais pratiquement, le Saint-Esprit conduit jusqu’au bout les âmes qui ne refusent pas la grâce d’être de bonne volonté. Nous le savons, Dieu peut transformer les pierres les plus dures en fils d’Abraham… ce qui veut dire que l’apologétique doit être sans aucune illusion et remplie de la sainte espérance, d’espérance théologale.

Q : Justement, certains dans leur ignorance peuvent suivre les conséquences pratiques du modernisme sans en partager entièrement les causes profondes. Que pourrait-on faire pour ces gens là ?

Commencer par les éclairer. Il faut retrouver le bon sens, avant de retrouver la foi, parce que la foi sans l’objectivité du bon sens n’est plus la foi : c’est déjà le modernisme. Les livres de Mgr Lefebvre sont très accessibles et demeurent toujours très actuels, et pour la foi et pour le bon sens. Ensuite, bien sûr, il y a le témoignage de la charité, mais comme les gens sont sentimentaux, ce doit être avant tout le témoignage d’une vie chrétienne conséquente avec ses principes, les principes de l'objectivité de Dieu. C’est un témoignage qui sera efficace s’il se relie à l’objectivité de la doctrine. Sinon, on dira que vous êtes un brave catholique, comme il y a aussi de braves musulmans.

Il en va de même de la prière. Certainement, la prière reste toujours le grand moyen. C’est un moyen efficace entre tous, parce qu’il agit directement sur Dieu. A qui prie avec persévérance, peu à peu, Dieu donne des lumières. Et certainement aussi, cela est spécialement vrai de la prière que nous adressons à la Mère de Dieu. D’autant plus que cette prière implique une profession de foi catholique dans le mystère de l’Incarnation rédemptrice. Mais insistons encore sur cette objectivité de la prière, qui doit être un acte de religion, un acte par lequel l’homme se met dans la dépendance de Dieu, son Créateur et son Sauveur, un acte de l’intelligence et non une expression de sentimentalité vague.

Quels que soient les moyens que l’on emploie, ils consistent toujours d’une manière ou d’une autre à remettre la tête sur les épaules, à redonner la priorité aux facultés spirituelles de l’homme. C’est d’abord sur ces facultés que la grâce agit, pour unir l’homme à Dieu. Le modernisme, et la civilisation moderne qui en découle, ont tout faussé en mettant l’accent sur le sentiment. Avec de beaux sentiments, on risque d’avoir beaucoup plus d’illusions qu’avec des convictions et des résolutions fortes. C’est pourquoi les Exercices de saint Ignace demeurent si utiles aujourd’hui : on y réapprend le mode d’emploi de la machine humaine : la tête au ciel, les pieds sur la terre et la tête sur les épaules.


Q : Supposons que cela soit acquis, au moins en partie. Qu’est ce qui pourrait maintenant nous faire détourner du noble idéal « Zawsze wierni » [toujours fidèles] et nous perdre doctrinalement?

Il faut éviter les mauvaises fréquentations. Et parmi les mauvaises fréquentations, les pires sont les fréquentations intellectuelles. Autrefois, le rôle de l’Index était de protéger les fidèles contre de telles fréquentations. Aujourd’hui, il faut faire très attention à tout ce qu’on lit, à tout ce qu’on entend, parce que le poison circule facilement.

Il ne faut pas non plus discuter avec le diable. Lorsque le prêtre accomplit un exorcisme, il ne dialogue pas avec le possédé, il lui donne des ordres en lui commandant de se soumettre devant Jésus-Christ. A l’inverse, c’est parce que Eve a dialogué avec le serpent, et c’est parce qu’Adam a écouté Eve que le genre humain tout entier a été précipité dans la catastrophe. Mgr Lefebvre ne discutait pas avec la Rome conciliaire, il lui criait dessus, il lui faisait entendre raison, même si c’était avec toute la révérence due. C’est ainsi qu’il a gardé la foi, et qu’il nous a préservé du naufrage.

Q : Vous voulez dire que tout pacte avec les autorités romaines imprégnées du Vatican II est en réalité une tentation mortifère ?

C’est le propre constat de notre Supérieur général, Mgr Bernard Fellay[15]. Dans les circonstances actuelles, un accord avec les autorités conciliaires serait un suicide. Ces autorités sont imbues des faux principes et des erreurs du concile Vatican II. D’ailleurs, à tout prendre, normalement, on ne doit pas « faire des accords » avec les autorités de l’Eglise. C’est impensable. On se soumet, si on a affaire à un pape vraiment catholique, un point c’est tout. Dans la lettre qu’il envoya aux futurs évêques de la Fraternité le 29 août 1987, Mgr Lefebvre évoque d’ailleurs ce que sera l’attitude de nos évêques le jour où Rome reviendra à la Tradition : « Je vous conférerai cette grâce [de l’épiscopat] confiant que sans tarder [Mgr voyait évidemment les choses par rapport à l’éternité, où un jour est mille ans et mille ans sont un jour…] le Siège de Pierre sera occupé par un successeur de Pierre parfaitement catholique en les mains duquel vous pourrez déposer la grâce de votre épiscopat pour qu’il la confirme » [16].

C’est la Rome investie par le moderniste qui cherche à discuter et à faire des accords. Parce que « faire des accords », des accords purement pratiques, sans foi ni loi, c’est la mentalité des modernistes. Il n’y a pas de vérité, il n’y a que des opportunités. Jusqu’au vénéré Pie XII, Rome ne discutait avec personne et ne devait jamais discuter, parce que, en tant que telle, l’autorité ne discute pas avec ses sujets. A présent, depuis que Jean XXIII a voulu renoncer à tous les anathèmes et depuis que Paul VI a voulu que la vérité ne s’impose plus que par la douceur et dans la liberté, Rome s’est mise à discuter avec tout le monde : discussions œcuméniques avec ceux du dehors, discussions théologiques ceux du dedans. Mais c’est déprécier l’autorité du successeur de Pierre, vicaire de Jésus-Christ.

Et c’est aussi un piège mortel, car c’est l’apparence de bien qui risque de nous faire adopter le libéralisme conciliaire. La chose importante aux yeux des conciliaires, ce n’est pas la doctrine mais c’est la pratique, ce n’est pas la vérité mais c’est la liberté, c’est l’existence même de la discussion et des accords. La raison en est que pour les modernistes, comme d’ailleurs pour les marxistes, l’union ne se fonde pas sur la doctrine, mais sur l’action, et l’action fondamentale qui unit les hommes, c’est la discussion dans le respect de la mutuelle liberté d’opinion, ce sont les accords pratiques. On est en communion avec tous ceux qui acceptent de discuter ; avec les autres, avec les irréductibles qui veulent imposer la vérité sans discussion, on n’est pas en communion. Mgr Lefebvre a toujours voulu garder des contacts avec Rome, pour pouvoir faire entendre à Rome la voix de la Tradition, pour essayer, importune, opportune, de convertir les autorités conciliaires. Mais pas pour mettre la foi en discussion.


Q : Auriez vous une parole d’autorité qui colorerait notre entretien ?

L’Eglise vit au rythme de l’éternité. La durée de la crise peut nous sembler longue, mais la persévérance n’implique-t-elle pas justement une certaine longueur de temps ? Notre Seigneur nous l’a dit : In patientia vestra possidebitis animas vestras (Lc, 21/19)

[1] Ernest Renan, « Préface » dans Averroès, Ed. Michel Lévy, 1860, p. VI et VII.
[2] Pascendi, n° 53.
[3] « Ceci est chez eux une volonté et une tactique : et parce qu'ils tiennent qu'il faut stimuler l'autorité, non la détruire ; et parce qu'il leur importe de rester au sein de l’Eglise pour y travailler et y modifier peu à peu la conscience commune : avouant par là, mais sans s'en apercevoir, que la conscience commune n'est donc pas avec eux, et que c'est contre tout droit qu'ils s'en prétendent les interprètes » (Pascendi, § 37)
[4] Somme théologique, 3a pars, question 47, article 5.
[5] Mgr Lefebvre, « Le Concile ou le triomphe du libéralisme » dans Fideliter n° 59 (septembre-octobre 1987), p. 33.
[6] Benoît XVI, « Allocution lors de la visite à la synagogue de Cologne, le 19 août 2005 » dans DC n° 2343, p. 892.
[7] Benoît XVI, « Message du 26 octobre au cardinal Kasper, pour le 40e anniversaire de Nostra aetate » dans DC n° 2347 (4 décembre 2005), p. 1098.
[8] DC n° 2371 (7 janvier 2007), p. 26.
[9] Benoît XVI, « Discours aux chefs religieux participants à la rencontre internationale pour la paix, le 21 octobre 2007 » dans DC, n° 2391 (2 décembre 2007), p. 1037-1038. Le pape commence par dire que cette réunion « nous ramène en esprit en 1986, lorsque mon vénéré Prédécesseur Jean-Paul II invita sur la colline de saint François les hauts Représentants religieux à prier pour la paix, soulignant en cette circonstance le lien intrinsèque qui unit une authentique attitude religieuse avec une vive sensibilité pour ce bien fondamental de l’humanité ». Puis il ajoute : « Dans le respect des différences des diverses religions, nous sommes tous appelés à travailler pour la paix ».
[10] Benoît XVI, « Discours à la curie romaine du 22 décembre 2005 » dans DC n° 2350 (15 janvier 2006), p. 61-62.
[11] DC n° 2371 (7 janvier 2007), p. 13-14.
[12] Benoît XVI, « Discours à l’assemblée générale des Nations unies, le 18 avril 2008 » dans L’Osservatore romano n° 16 (22 avril 2008), p. 7.
[13] Benoît XVI, « Message à l’issue de la messe à la chapelle sixtine » dans DC n° 2337 (5 juin 2005), p. 539.
[14] Benoît XVI – Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth, Flammarion, 2007, p.403.
[15] Mgr Fellay, « Editorial du 14 avril 2008 » dans Lettre aux amis et bienfaiteurs n° 72.
[16] Publiée dans la revue Fideliter numéro hors-série, 29-30 juin 1988.

12 komentarzy:

Anonimowy pisze...

Szanowny Panie Franciszku
będąc pod wrażeniem Pańskich wypowiedzi, chciałybyśmy zapytać się o możliwość artykułu o cnocie pokory dla starych znajomych.
z poważaniem Pański Fanklub

F.Malkiewicz pisze...

Dla znajomych i przyjaciół czas się znajdzie. Rozumiem, że to św. Tomasz robi takie dobre wrażenie; mnie on wciąż zachwyca! A w ogóle proszę o kontakt: "f.malkiewicz@gmail.com"

F.Malkiewicz pisze...

Aha, przecież dziś święto Patronki Fanklubu, Matki Boskiej Częstochowskiej, nie zapominamy więc dziś o Różańcu! (i nie późną nocą jak zwykle)

Anonimowy pisze...

Pewnie i ten blog Ci się spodoba: http://logica.blog.onet.pl/

Anonimowy pisze...

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Anonimowy pisze...

Panie Franciszku, może wpis w końcu jakiś?

Diamanty pisze...

Czekam na następny wpis.

Projekty domów szeregowych pisze...

Trafiłem na tę stronę przez Google, nie powiem ciekawa :)

Biuro rachunkowe Katowice pisze...

Z niecierpliwością oczekuję kolejnego wpisu:)

Projektowanie wnętrz Lublin pisze...

Dobrze powiedziane!

Karpacz pensjonat pisze...

Poprzedni wpis bardziej mi się podobał.

Praca tymczasowa pisze...

Dobra puenta.